Rencontre
Rencontre avec Nicolas Delferrière du laboratoire ARTÉHIS, qui travaille au musée depuis plusieurs jours sur les enduits peints gallo-romains retrouvés à Chamesson. Cette étude, réalisée dans le cadre de sa thèse en archéologie, donnera lieu à l’exposition « La cave aux oiseaux » à partir du 16 juin à l’occasion des Journées Nationales de l’Archéologie.
Pouvez-vous m’expliquer rapidement en quoi consiste votre travail ?
Je suis doctorant en archéologie depuis octobre 2013. Je fais une thèse sur les revêtements architecturaux gallo-romains, à savoir les éléments qui composent le décor. Je travaille sur les enduits peints, les mosaïques, les stucs et les roches décoratives, c'est à dire tout ce qui peut se plaquer sur un mur, un sol, un plafond ou une zone de couronnement. Actuellement je travaille sur les enduits peints du site gallo-romain de Chamesson, qui ont été découverts au cours des années 80 lors d’une fouille de sauvetage. L’objectif est de les nettoyer pour voir tous les motifs qui composent le décor, et ensuite d’essayer d’assembler chaque fragment les uns avec les autres. L’exposition proposée au musée va s’intituler « La cave aux oiseaux » en raison des oiseaux retrouvés sur les enduits-peints. Dans l’ensemble c’est un décor qui est assez étonnant car il reprend des motifs plutôt connus, comme les rinceaux végétaux, mais qui sont traités de façon particulière, presque naïve. S'agit-il d'un style propre à la région ? L’étude nous apportera peut-être la réponse à cette question.
Quelles sont les différentes étapes de l’étude des enduits peints ?
La première étape est le nettoyage des fragments, pour pouvoir les assembler et voir les motifs car ils sont restés longtemps dans la terre. Ce sont des fragments avec de la peinture et des pigments qui sont vieux de 2000 ans, il faut donc les nettoyer soigneusement. On humidifie une éponge pour nettoyer la surface picturale, mais on peut le faire au vaporisateur, le tout étant de vérifier que la peinture tient bien. Si la fresque a été mal réalisée par le peintre, un passage d’éponge risque d’enlever la peinture. Il faut aussi nettoyer le mortier à l’aide d’une brosse à dents, c'est à dire les tranches et le revers. C’est important car au revers on peut voir des empreintes de la maçonnerie ou de l’élévation sur laquelle était posé le décor. On voit ainsi quel type de mortier a été utilisé et cela permet également de faire les assemblages. Après le nettoyage, on laisse sécher et on essaye de regrouper les fragments par ensemble cohérent, c'est à dire par mortier de support et par motif. On peut alors débuter l’assemblage, qui peut prendre énormément de temps. C’est à partir de ce moment là que l’on commence à comprendre où se situe chaque élément sur la paroi. Vient l’étape de l’étude, où l’on photographie les plaques (fragments d’enduit qui s'assemblent) qui vont ensemble. Pour les fragments très complexes on fait également des dessins, car ils nous aident à la restitution et à la compréhension du décor. Viennent également les observations techniques, concernant la composition du mortier et les tracés préparatoires qui ont aidé le peintre à réaliser ces motifs. Au final on peut rédiger l’étude et valoriser ces découvertes dans les musées.
Quelles études avez-vous faites pour en arriver là ?
J’ai fait une licence d’histoire de l’art et d’archéologie à l’Université de Bourgogne. Puis j’ai fait un master d’histoire et d’archéologie antique, toujours à l’Université de Bourogne, sous la direction de Daniele Vitali et avec l'encadrement de Claudine Allag. C’est à partir du master que je me suis spécialisé sur les peintures murales puisque j’ai travaillé au Musée de Sens sur environ 80 caisses d'enduits peints de la villa de Villeperrot, dans l’Yonne. En comparaison, je travaille en ce moment sur le contenu de seulement deux caisses. Comme j’aimais vraiment beaucoup ce travail, j’ai décidé de continuer en thèse, toujours sous la direction de Daniele Vitali, mais également sous la co-direction de Nicole Blanc, spécialiste des stucs au CNRS/École Normale Supérieure de Paris. Dans ce cadre, j’ai élargi le champ de recherche aux autres éléments du décor : les stucs, les mosaïques et les roches décoratives. Cela fait bientôt 9 ans que je suis à la fac et que je fais de l’archéologie. C’est une vraie passion puisque j’ai toujours voulu être archéologue. J’ai commencé mes premières fouilles à l’âge de 13 ans et ça m’a beaucoup plu.
Qu’est-ce que les nouvelles technologies ont changé dans votre travail ?
Concernant les enduits peints je dirais peu de choses, puisque leur étude est un travail manuel. Par contre, quand les chercheurs ont commencé à étudier les peintures murales en France à partir des années 70, ils ont dû partir de presque rien. Maintenant ils disposent d’un corpus, c'est à dire un catalogue de sites qui ont été étudiés et publiés. Il existe également des bases de données en ligne avec des photographies qui nous permettent de faire des comparaisons, comme par exemple « Décors Antiques », la photothèque d’Alix Barbet qui est spécialisée dans la peinture murale. L’évolution de la photographie nous aide aussi puisque des photos de meilleure qualité permettent de réaliser un traitement photographique plus important. Concernant l’étude des marbres il existe des appareils qui scannent les fragments et les assemblent ensuite sur ordinateur, mais pour les enduits peints je ne crois pas qu’il y ait d’équivalent pour l’instant. La modélisation 3D pour les enduits peints existe beaucoup en Italie, notamment pour les demeures où ils ont été retrouvés encore en place, comme par exemple à Pompéi et Herculanum. Il y a d’autre part des restitutions qui sont faites par ordinateur et qui permettent de montrer au grand public la restitution du décor et d’exposer quelques fragments. L’objectif de l’exposition « La cave aux oiseaux » ne va pas être de montrer tous les fragments retrouvés, mais seulement les plus évocateurs avec à côté une restitution numérique élaborée à partir d’un dessin que j’aurai retravaillé sur Illustrator et Photoshop.