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Entretien avec Clotilde Proust, conservateur-restaurateur en archéologie au Musée d’Archéologie Nationale (MAN), spécialisée dans le métal, et plus spécifiquement les matériaux minéralisés dans la corrosion du métal et avec Fabienne Médard, archéologue, spécialiste des textiles, à l’occasion de leurs recherches de matières organiques sur le mobilier de Vix en décembre 2018.
Quels est votre parcours ?
- Clotilde Proust :
Je suis docteur en archéologie, diplômée d’un master dans la conservation-restauration dans le domaine de l’archéologie ; j’ai développé en conservation une méthodologie pour observer, répertorier les restes organiques que l’on voit dans la corrosion. Les restaurateurs qui travaillent sur les objets en métal voient énormément de choses mais n’ont pas forcément le temps de les analyser. J’ai donc développé cette méthodologie au MAN sur les collections anciennes, ce qui m’a permis de travailler avec Fabienne ; ensemble nous avons combiné nos savoirs-faire ; avec deux paires d’yeux, on se complète !
- Fabienne Médard :
Je suis archéologue, spécialiste des textiles, experte des matériaux organiques ; je travaille en libéral. Docteur en archéologie textile avec deux post doctorats sur des problématiques textiles préhistoriques, j’ai monté en 2009 ma propre structure, l’association Anatex, pour pouvoir répondre à une demande qui commençait à poindre dans le domaine. L’organique est un thème transversal qui touche toutes les périodes. Il faut savoir que des matériaux organiques préservés, il y en a essentiellement dans le funéraire protohistorique et médiéval.
Comment en êtes-vous arrivées à cette association ?
- Clotilde
Nous sommes associées notamment dans les projets d’expertise sur les collections archéologiques anciennes. Ces collections ont déjà subi une ou plusieurs campagnes d’intervention de restauration et nécessitent donc une expertise particulière pour retrouver des traces de matières organiques. Nos diagnostics se complètent ; je vais pouvoir faire un bilan sanitaire de l’objet, repérer les anciennes restaurations, repérer aussi les matériaux organiques qui seraient restés dans la corrosion du métal par des processus de minéralisation. La minéralisation est un moyen de préserver des traces infimes d’un matériau qui a parfois été très important, qui même dissimulait les objets dans les sépultures et qui n’existe plus au moment d’une découverte archéologique mais dont on a encore des traces dans la corrosion.
- Fabienne
À force de regarder, on découvre de plus en plus de choses parce que l’oeil s’habitue. On arrive à voir beaucoup plus facilement les fourrures, les plumes, la peau, les insectes, etc. Après l’état dressé par Clotilde, je peux cibler sur certains matériaux et aller plus loin dans l’analyse et l’interprétation.
Comment procédez-vous ?
- Clotilde :
On enregistre dans une base de données toutes les informations de l’objet et on dresse un constat d’état rapide utile pour le conservateur ; ça c’est pour l’expertise. Ensuite, pour la phase d’analyse, Fabienne approfondit pour certains matériaux, analyse les fibres, cartographie les différentes couches organiques, puis vient la phase d’interprétation en faisant des analogies avec d’autres sites hallstattiens.
Pourquoi l’expertise des collections anciennes est-elle importante ?
- Clotilde :
Les collections anciennes sont très spécifiques et on tient à les faire-valoir ; on a tendance à les oublier au profit du mobilier qui sort immédiatement du terrain, pour lequel d’ailleurs, on n’a pas toujours les moyens de faire ces analyses. Les collections anciennes ont beaucoup à nous dire. On a tendance à penser qu’elles dorment dans les musées alors qu’elles ont encore énormément de choses à livrer. L’axe qu’on développe, Fabienne et moi, c’est qu’elles n’ont pas été regardées avec suffisamment d’attention au niveau de la corrosion pour en extraire la substantive moelle, c’est à dire toutes les informations qu’on pourrait voir dans cette corrosion. Malgré les traitements de restauration, il reste très souvent d’infimes fibres pouvant donner des informations qui, mises en corrélation avec des découvertes récentes, nous permettent de regarder à nouveau ces collections d’un autre point de vue. Fabienne et moi nous proposons de faire un état des matériaux organiques préservés sur les collections anciennes, de manière à avoir une cartographie de ce qui existe encore et pouvoir cibler certains objets qui mériteraient d’être mis en avant.
Pourquoi les collections de Vix ? Quelles autres collections anciennes avez-vous étudiées en parallèle ?
- Clotilde :
On a d’abord commencé au MAN à travailler sur les collections de l’âge du Fer. Au MAN est conservé le mobilier du tumulus de La Butte de Sainte-Colombe-sur-Seine ; on s’est dit que cela pourrait être très intéressant de comparer avec le tumulus de la Garenne de Sainte-Colombe dont les objets sont conservés au musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix. On a pu expertiser et étudier ces 2 mobiliers qui donnent des informations très similaires : les objets étaient emballés serrés (presque bandelettés) et pas seulement avec du textile, mais aussi avec de la fourrure et du cuir. Des traces de bois de la caisse du coffrage ont été retrouvées ; elle s’est plaquée sur les objets et a été minéralisée. Toutes ces informations sur le contexte sont à mettre en lien avec les archives puisque finalement, on ne dispose pas d’énormément d’informations sur la découverte de ces deux tombes, qui date du 19e siècle. Ceci nous limite quant à l’interprétation.
De l’analyse de ces deux tombes, on s’est dit que cela pouvait être extrêmement intéressant de voir ce qu’il se passait pour la collection de Vix, une tombe qui a déjà été beaucoup étudiée mais pas expertisée. Il y a eu quelques études (Claude Rolley) mais pas d’état des lieux sur les matériaux organiques de ce site. Pour Vix, ce qui est particulièrement intéressant ce ne sont pas les objets connus et exposés mais tous ces petits objets en sachet dans les réserves du musée, des clous, etc. Puisque la tombe doit être réouverte en 2019, il était assez opportun de voir cet état sur ces collections anciennes.
Quel est l’objectif de votre expertise ?
- Fabienne :
A partir d’une observation telle que celle-ci, on arrive à avoir une vision des rites funéraires mis en place au moment de l’inhumation. Cela nous permet de dire aussi qu’il serait mieux de faire ces observations avant les traitements de conservation et de restauration des objets. C’est souvent fugace, comme les restes de textiles qui se détachent facilement et sont assez fragile. L’intérêt d’étudier des collections anciennes, c’est aussi de dire que l’expertise que l’on mène aujourd’hui apporterait plus d’informations sur les éléments juste après la découverte.
- Clotilde :
On milite pour qu’au moment de la fouille, on sorte le matériel, on le débarrasse très peu du sédiment qui l’entoure, on le conditionne, on temporise et le moment venu on s’en occupe. Ensuite, une fois que les analyses ont été faites, on va pouvoir mieux cibler la restauration et faire des économies financières. Ce sont des informations importantes à avoir pour constituer un corpus ; si de ces recherches on peut dire que certains éléments comportent des traces de bois par exemple, cela peut conduire à un nouveau programme d’étude pour d’autres spécialistes.
Ce n’est pas toujours les cas ?
- Clotilde :
Non ! Lorsqu’on sort le métal de son milieu d’enfouissement, il bascule dans un environnement climatique complètement différent : apport massif d’oxygène, grande variation thermique et hygrométrique. Outre des altérations mécaniques pendant la fouille, le processus de corrosion va se remettre en route dans les premiers mois. Le souci qu’ont les archéologues de faire en sorte que le fer, très réactif, ne se dégrade pas pour ne pas perdre l’objet, fait qu’il va partir rapidement chez les conservateurs-restaurateurs, au moins dans des bains de stabilisation. En soi c’est un très bon réflexe, mais il manque un maillon de la chaîne, c’est-à-dire des personnes spécialisées, associées dès la fouille pour prendre en charge et mettre en place la conservation préventive (avant de mettre les objets dans les bains de stabilisation), mettre en place des stratégies, contrôler le climat pour éviter la dégradation et gagner du temps.
Quel financement avez-vous pour ces études ?
- Fabienne :
Le SRA (Service Régional de l’Archéologie) est financeur dans le cadre de cette recherche, ce qui est plutôt exceptionnel, peut-être parce qu’on parle de la réouverture de la tombe de Vix et parce que l’on dispose aujourd’hui d’autres moyens scientifiques qui permettent d’aller plus loin.
Quand publierez-vous les résultats ?
- Clotilde :
On essaye de communiquer sur nos observations et dans le meilleur des cas, on prévoit un article dans la revue Antiquités Nationales. Une publication spécifique est encore à réfléchir.
Avez-vous un message particulier à faire passer ?
- Clotilde :
Tous les musées d’archéologie regorgent dans leurs réserves de merveilles, surtout celles qui n’ont pas encore été restaurées. La conservation préventive in situ et ex situ est de ce fait très importante pour gérer la transition du milieu enfoui au milieu aérien, surtout pour le fer. L’investissement sur la fouille au départ en conservation préventive, fait économiser beaucoup de budget en bout de chaîne opératoire. C’est très difficile de changer les mentalités parce qu’il y a des habitudes de travail, de vocabulaire, de connaissances … On a tous notre part de responsabilité !
- Fabienne :
L’étape sur laquelle il faut travailler, c’est le cahier des charges. L’idéal serait que les SRA prescrivent systématiquement l’expertise et l’analyse des matériaux organiques dans le cahier des charges de fouilles dans des milieux sensibles que l’on connaît, qui sont les milieux funéraires protohistoriques mérovingiens et tous les milieux humides.