Au pied du mont Lassois, près du village de Vix, eut lieu une découverte extraordinaire. En janvier 1953, les archéologues René Joffroy et Maurice Moisson, ont découvert une tombe féminine emplie d’objets si précieux qu’on l’appelle le trésor de Vix. La Dame, que l’on nomme la princesse de Vix, était allongée sur un char, parée de bijoux précieux, dont un torque en or, chef d’œuvre d’orfèvrerie celte. La chambre funéraire recélait également un colossal cratère en bronze. Nous sommes aux environs de 500 avant J.-C. Le mont Lassois était alors ceinturé par un gigantesque système de fortification et une agglomération occupait son sommet.
Collection
Trésor de vix
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La découverte du Trésor de Vix
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Le cratère de Vix
Haut de 164 centimètres, d’un poids de 208,6 kilogrammes, et dont la contenance est de 1 100 litres – frappe tout d’abord par sa taille. C’est le plus grand récipient en bronze que l’antiquité nous ait légué. La panse repose sur un pied circulaire en bronze coulé. La panse, l’épaule et le col sont formés d’une seule tôle, mise en forme par martelage, dont l’épaisseur ne dépasse pas le millimètre. Deux anses en volutes, diamétralement opposées, prennent appui sur le col orné d’une frise figurant des soldats grecs. Les anses et les appliques de la frise, obtenues par moulage à la cire perdue, sont en bronze massif. Le cratère est fermé par un couvercle surmonté d’une statuette représentant une jeune fille.
Les analyses et comparaisons stylistiques étayent l’hypothèse d’une fabrication, vers 530 av. J.-C., par un atelier grec installé dans la région de Sybaris, au sud de l’Italie. L’objet, dont les anses sont démontables, aurait donc voyagé depuis cette zone méridionale jusqu’au nord de la Bourgogne. La forme du cratère de Vix était connue dans le monde grec sous le nom de cratère à volutes. Il servait à mêler l’eau et le vin avant que les convives ne le consomment au cours des banquets. -
Les décors du cratère
La femme grimaçante qui forme le décor central des anses figure la gorgone Méduse, un personnage de la mythologie grecque. La chevelure de Méduse qui, d’ordinaire, est constituée de serpents s’enroulant en boucles folles, est représentée par de longues tresses encadrant une frange bouclée. Cependant, ses jambes, sous la courte tunique finement ornée d’un motif d’écailles, ont la forme de deux serpents dont les têtes rampent sur l’épaule du cratère.
L’expression grimaçante, figurée grâce à la langue tirée et à la bouche dévoilant largement les dents, est renforcée par les plis visibles à la racine de son nez. Son regard, exprimé par des yeux en amande largement ouverts, pétrifie quiconque le croise. Ce visage de Méduse est à la fois beau et effrayant. -
Derrière la figure de Méduse, au creux des anses s’enroulant en volutes, se cachent des appliques représentant des lions. Ils semblent escalader le col du cratère, la tête élégamment tournée à l’opposé du sens de la marche, déployant dans ce mouvement une abondante crinière.
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La frise, qui court tout autour du col du cratère, met en scène une succession de soldats grecs (les hoplites), et de chars, conduits par des auriges. Les soldats portent un équipement militaire composé de jambières, d’un casque, d’une cuirasse et d’un bouclier. Les chars de guerre, à deux roues, sont tirés par quatre chevaux.
Bien que chaque applique de la frise soit différente, une impression d’unité se dégage de l’ensemble. Les pattes des chevaux sont sensiblement traitées de la même manière d’un attelage. Au sein de chaque attelage, les têtes, de plus en plus dressées du premier au dernier rang, évoquent les différentes allures du cheval de l’arrêt au galop. -
Les accessoires du cratère
Le couvercle du cratère est percé de trous répartis de manière à rappeler les languettes ornant le pied et l’épaule du cratère. Ce type de couvercle renvoie à la nécessité de filtrer le vin avant de le consommer. Sa fonction est celle d’une passoire.
Sur le pourtour du couvercle, on note également une série de trous. Un examen à la lumière rasante a permis de déceler les traces de la base de statuettes qui étaient, à l’origine, fixées sur le couvercle. Il semblerait qu’un défilé en rondebosse doublait celui que nous trouvons sur la frise du col. Aucune de ces statuettes n’a été retrouvée dans la tombe. Ce décor paraît avoir été soigneusement ôté avant l’ensevelissement du cratère. Faut-il envisager la nécessité de dégager de la place sur le couvercle afin d’y déposer le mobilier du banquet (phiale, cruche et coupes) ? Au centre du couvercle, vissée sur un piédestal conique, se dresse une statuette en bronze. Elle représente une jeune fille (coré en grec) vêtue d’un voile et d’une tunique. La position de ses mains indique qu’elle portait deux objets, aujourd’hui disparus. Il s’agissait sans doute d’une phiale, sorte de bol pour offrir le vin aux dieux, et d’une cruche, récipient permettant de servir la boisson aux hommes.
Elle est le seul vestige de la scène en ronde-bosse qui se jouait sur le couvercle. La jeune fille, entourée d’un probable défilé de soldats et de chars de guerre, ouvre le banquet. -
La Phiale en argent
La phiale est un bol évasé en argent, d’un diamètre d’environ 25 centimètres, portant en son centre un renflement nommé omphalos ou ombilic, orné d’une feuille d’argent dorée. La prise en main est facilitée par ce renflement.
Il est cependant assez peu probable que ce récipient ait eu un rôle fonctionnel pour le service de la boisson. Les chercheurs l’interprètent comme un objet à caractère religieux et cérémoniel. De fait, dans le monde grec, la phiale est réservée au service des dieux.
Si la forme de ce récipient est présente dans le monde celte, en revanche le travail de l’argent par martelage, attesté en Étrurie, en Grèce ou dans la péninsule Ibérique, ne s’y rencontre pas jusque-là. La phiale de la tombe de Vix est le plus ancien vase d’argent découvert au nord des Alpes. Cet objet reflète donc un échange culturel allant jusqu’à des transferts de matériaux et de techniques de fabrication. -
L’oenochoé en bronze
Le terme oenochoé désigne une cruche servant, chez les Grecs, à puiser le mélange d’eau et de vin contenu dans le cratère.
L’oenochoé de la tombe de Vix « possède un corps plutôt trapu, un col assez court et une embouchure oblique terminée par un bec spatulé ». « L’attache inférieure est de type “en ancre”, avec une grande palmette assez irrégulière à treize pétales, surmontée de deux courtes tiges redressées et terminées en bouton1. »
Ce type de récipient est de fabrication étrusque et semble avoir transité par les Alpes pour se répandre dans une vaste zone géographique allant de la Champagne à la Bohême. -
Coupe à figures noires
La coupe à figures noires fait partie du corpus des « coupes de Droop », reconnaissables à leur forme et à leur style décoratif. L’auteur du décor, dénommé le « Peintre des spectres » à cause de l’apparence un peu fantomatique de ses personnages, s’est fait une spécialité des scènes de combat entre hoplites grecs, et Amazones.
Ce type de coupe était assez largement diffusé dans le monde méditerranéen. L’attribution au « Peintre des spectres » et la comparaison stylistique menée au sein de ses réalisations mènent à une datation comprise entre 520-515 av. J.-C. La coupe à vernis noir à pied surbaissé, de type « Bloesch C », est connue dans la région de Marseille. Une cargaison de ce type de vaisselle a été retrouvée dans une épave grecque aux environs de Marseille. La datation semble la même que celle de la coupe de Droop.
Si ces deux coupes ne sont pas des fleurons de l’art céramique grec, il nous faut garder à l’esprit que rares sont les exemplaires à avoir voyagé dans des zones aussi septentrionales que la Bourgogne. Leur exotisme fait d’elles des pièces de vaisselle d’un grand prestige. -
Les Bassins en bronze
Trois bassins de bronze étaient appuyés contre la paroi de la chambre funéraire. Bien qu’ils n’appartiennent pas strictement à l’ensemble des objets liés au banquet, la proximité de leur emplacement évoque une utilisation dans ce même contexte.
Deux bassins, chacun d’un diamètre d’environ 35 centimètres, possèdent des poignées ornées de trois palmettes alternant avec des boutons ovoïdes. L’un de ces bassins porte également un cordon perlé soudé sur le haut de la paroi. Ils font partie des productions étrusques de type bassin à poignées à fond plat. Le décor des poignées renvoie à un corpus de la région de Vulci daté de 510 à 480 av. J.-C. D’après les analyses métallographiques réalisées par David Bougarit et Benoît Mille, il est possible que ces bassins sortent du même atelier que l’oenochoé en bronze.
Le troisième bassin est de grande taille (environ 55 centimètres de diamètre) et porte un ombilic. Le décor de tresse du rebord est particulièrement élaboré. Ce type de décor se retrouve sur le haut du lébès de Sainte-Colombe. On peut voir là un lien unissant ces deux tombes prestigieuses sensiblement contemporaines.
La fonction de ces bassins reste mystérieuse. Cependant, il semblerait qu’il ne faille pas les interpréter comme des plats destinés à recevoir de la nourriture mais plutôt comme des bassins permettant de pratiquer des ablutions. Le banquet grec comprenait en effet un temps de purification et de nettoyage, notamment des mains, avant que ne vienne le moment de déguster le vin. -
La parure
Le torque est un jonc d’or pesant 480 grammes. La tôle d’or est travaillée par martelage de façon à ce qu’elle prenne la forme d’un arc fermé. Les extrémités figurent des pattes de lion. Ces pattes reposent sur des boules creuses dont le fond aplati est orné de motifs géométriques disposés en cercles concentriques.
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Le torque
Un petit cheval ailé apparaît à la jonction des boules et de l’arc, reposant sur un coussin filigrané composé d’un réseau de fils d’or, lisses et bouletés, très finement soudés. Le cheval ailé apparaît dans la mythologie grecque sous l’identité de Pégase naissant du sang de Méduse qui, par ailleurs, est représentée sur l’anse du cratère.
Le torque s’inscrit dans un répertoire traditionnel celte où l’iconographie s’organise autour d’un thème central – ici les tampons piriformes rappelant un motif solaire –, un motif d’encadrement – les Pégases flanquant les tampons –, et un motif support, ici confié aux pattes de lions. Il semblerait que l’atelier du torque de Vix ait été autochtone. Par son répertoire iconographique et son mode de fabrication, le torque renvoie à un mélange de culture et à un transfert de technologie illustrant le dynamisme des échanges dans l’Europe de la fin du premier âge du Fer. -
Les bracelets
La Dame de Vix portait quatre bracelets à chaque poignet. Cet ensemble se compose de six bracelets en roche noire, communément appelée lignite, et de deux bracelets en ambre.
Le travail du lignite, pour obtenir des parures, est connu depuis le Paléolithique mais ne prend son essor qu’à l’âge du Fer. La présence de bracelets en lignite dans une tombe princière montre le prestige qu’avait certainement ce matériau à la fin du Hallstatt. L’ambre est le produit de la fossilisation de résines végétales. Sa couleur et son caractère translucide, qui évoquent le miel, en font une matière première de choix pour les parures. Sa provenance pourrait être baltique. Des routes traversant l’Europe du Nord au Sud, de la Baltique à la Méditerranée, ont permis la diffusion de ce matériau de prestige. -
Les anneaux et le grand torque
Deux anneaux de bronze ornaient les chevilles de la Dame de Vix. La tôle de bronze a été arrondie de façon à former un jonc fermé par une goupille. La surface présente des décors de stries incisées, perpendiculaires à l’axe du bijou, bordées par une frise d’arceaux en demi-cercle, pointés et bouletés. Les stries sont rassemblées par ensemble de triples filets alternant avec des espaces lisses. Ce décor est rare et signe l’originalité de ces bijoux.
Sur l’abdomen de la Dame était déposé un torque creux d’un seul tenant. Il ne dispose pas de système d’ouverture. Son diamètre (26,8 centimètres) permet difficilement d’y reconnaître une ceinture. On peut y voir un collier qui aurait cédé la place d’honneur, autour du cou, au torque en or bien plus prestigieux.
Cependant, son diamètre en ferait une parure de cou peu confortable. Les marques d’une matière organique, enroulée en spirale autour de ce jonc en bronze, indiquent une garniture de cuir ou de tissu. Peut-être faut-il y voir un système d’accroche permettant d’ajuster l’objet au vêtement de la Dame. -
Les Perles
D’après le plan de René Joffroy, l’ensemble des perles se trouvaient au niveau de la poitrine de la défunte. Malgré la diversité des matières – sept sont en ambre, trois en diorite et une en serpentine, ces perles sont généralement considérées comme les éléments d’un seul et même collier jouant sur l’alternance des textures et des couleurs.
La diorite est une roche qui, après polissage, présente un agréable camaïeu de cristaux blancs, beiges et noirs. L’ambre, également polie, est une matière précieuse par son exotisme. L’important diamètre des perles (jusqu’à 46 millimètres) rappelle le caractère éminemment prestigieux de la Dame qu’elles parent. -
Les fibules
Parmi les huit fibules retrouvées près des ossements de la défunte, six présentent un caractère exceptionnel.
Une fibule en fer, du type F3B de Mansfeld, à fausse corde et bouclette, se distingue par sa grande dimension. À l’époque de l’inhumation de la Dame de Vix, les fibules en fer sont plutôt rares. Cependant, elle forme 90 % du corpus des fibules déposées en tant qu’offrandes votives dans la source de la Douix, à Châtillon-sur-Seine. On est autorisé à penser que les fibules en fer étaient alors parées d’un prestige et d’un symbolisme puissants.
Cinq fibules sont rehaussées de matières précieuses. Elles associent un disque d’ambre, très certainement de provenance baltique, à un cabochon de corail, venant très probablement de Méditerranée. Ces fibules constituent une parure discrète et raffinée. -
Le char
La défunte était allongée sur un char d’apparat à quatre roues, orné de motifs décoratifs en bronze. Les bandages en fer des roues étaient alignés contre la paroi de la chambre funéraire. Les roues avaient donc été démontées.
Le bois des roues ne s’est pas conservé. Cependant, les parties qui se trouvaient au contact du métal se sont fossilisées, ce qui a permis de déterminer les essences utilisées. Les roues, sous le cerclage de fer, étaient en hêtre tandis que les moyeux (la partie circulaire centrale de la roue où se rejoignent les rayons) étaient en frêne. L’un des petits côtés de la caisse du char était orné de plaques ajourées formant une rosace alternant avec des colonnettes, l’autre portait un autre type de rosace fixée sur le bois plein. Les longs côtés faisaient alterner colonnettes et plaquettes au motif de roues ajourées. Leur position, entre le corps de la caisse et la rambarde, crée une élégante balustrade sur trois côtés de la caisse du char. -
Motifs décoratifs de la caisse du char. Plaquettes ajourées
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Représentation de la "princesse" de Vix, 1953
La dame de Vix
Comment concilier l’image de virilité guerrière des époques celte et gauloise avec l’attestation archéologique d’une femme d’un statut social visiblement privilégié ? René Joffroy avait immédiatement attribué un sexe à la dépouille sur la foi du mobilier de la tombe : l’absence d’armement était associée à la présence d’une abondante parure. Des voix s’élevèrent qui remirent en cause l’identité sexuelle du squelette. Ce phénomène fut peut-être renforcé par la découverte de la tombe masculine d’Hochdorf en 1977. En 1980, une étude des ossements confirma qu’il s’agissait bien d’une femme.
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Le plateau Saint-Marcel et une partie de ses constructions © Klaus Rothe, sur la base d'une photographie de René Goguey
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Dessin figurant l'inhumation de la Dame de Vix par Jochen Stuhrmann © Geo Epoche
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Pour aller plus loin...
Vix et le phénomène princier, CARBONE 14, LE MAGAZINE DE L'ARCHÉOLOGIE par Vincent Charpentier, émission du dimanche 3 novembre 2019